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Santé T O U S
d’accoucher sans le père » confie Laure, 39 ans, à trois jours du D-Day. « Pour les deux autres
TOUS Source : Sciences et avenir et AFP je me sentais plus sereine, plus combative. Là, je me sens seule et beaucoup moins prépa-
Le 23/03/2020 rée ».
ACCOUCHER : LA PEUR DE LA SOLITUDE, Les cours de préparation à l’accouchement, de yoga, de piscine, ont été annulés. Les visi-
LE BLUES DE L’ABANDON tes de contrôle, sauf complications, s’effectuent par téléphone.
«On essaie d’assurer un suivi par Skype pour rassurer, mais je ne fais plus que de la télécon-
« Mon dernier contrôle a été annulé». «Je vais accoucher sans mon conjoint ». «J’ai peur sultation», confirme Adrien Gantois, président du collège des sages-femmes libérales. Si la
du retour à la maison»... situation l’exige, la patiente passe par une salle d’attente séparée dans son cabinet, près
62 Au terme de leur grossesse en pleine épidémie de coronavirus, les femmes redoutent de Paris. 63
l’événement tant attendu malgré les efforts des professionnels pour les rassurer.
Lui aussi déplore le manque de matériel: «Pour les visites postnatales à domicile, il nous
Adrienne, Émilie, Justine, Aurélie... Elles avaient projeté un scénario idéal, le père à leur côté faudrait lunettes, sur-blouses, sur-chaussures... on n’a rien de tout ça.»
les vaporisant, la famille autour du berceau, leur mère ou les amies en soutien lors du retour
à la maison. Rien de tout cela n’adviendra. Les femmes se sentent souvent «abandonnées», faute de réponses: «Aurai-je une péridurale
s’ils manquent d’anesthésistes?», s’inquiète Marine, à Bordeaux.
Pour tenter de leur répondre, le Pr Jacky Nizard, obstétricien de la Salpêtrière à Paris et
président de l’association des gynécologue-obstétriciens européens, réalise sur YouTube
de petites vidéos à leur intention. Révoltée
Tournées dans la cour de l’hôpital sur un ton délibérément badin, elles devancent les «Mon RDV anesthésiste s’est déroulé par
questions: «Pour les consultations, zéro accompagnant: le père reste dehors»; « pour l’ac- téléphone, je crains que mon RDV du 9e mois
couchement, pour l’instant un accompagnant - ça pourra changer - et s’il sort, il ne revient le soit aussi», avoue Aurélie, à Versailles.
plus ». « Après? personne: on sait, c’est compliqué ». « Je ne sais pas si je dois me tourner vers mon
gynéco (débordé) ou attendre », dit-elle, après
« On a deux enjeux de santé publique », explique-t-il à l’AFP: « Stopper la circulation du virus un début de grossesse compliqué.
et que les soignants ne tombent pas malades... Les consignes évoluent.
Pour le moment la plupart des maternités acceptent un accompagnant en salle de travail, Sa double angoisse: «Passer à côté d’un
mais il n’y a pas de règle générale ». Certaines les ont déjà bannis. problème pour le bébé et ne pas pouvoir vivre
ce moment avec mon conjoint».
Beaucoup dépend du stock de masques, de blouses pour le personnel, la patiente, le
conjoint. En maternité aussi, «il faut gérer la pénurie». Adrienne, 34 ans, ressent même de la «révolte»
à cette idée. « On est confinés ensemble! »,
avance-t-elle. Au terme de leur grossesse en pleine épidémie de coronavirus,
Une page Facebook les femmes redoutent l’événement tant attendu
malgré les efforts des professionnels pour les rassurer
En cas de complication pour la mère ou l’enfant, les anesthésistes seront eux «bien sûr» pré- « Confinée depuis trois semaines » à l’hôpital AFP/Archives - LOIC VENANCE
sents - malgré les réquisitions pour les services des urgences et de réanimation. Trousseau à Paris pour retarder la naissance
d’un grand prématuré, Émilie est déjà seule. «Peu à peu les restrictions se sont intensi-
Pour aider ses patientes, le Pr Nizard renvoie à la page Facebook de l’une d’elles - «confi- fiées», raconte-t-elle. «Pour certaines femmes qui accouchent d’urgence par césarienne,
nées avec bébé» - sur laquelle futures et jeunes accouchées échangent conseils et états les pères ne voient ni les mères ni les bébés: les sages-femmes leur montrent des photos».
d’âme: créée jeudi dernier, la page rassemblait lundi 365 femmes.
«On ne peut pas autoriser les va-et-vient avec l’extérieur», justifie le Pr Nizard, qui appré-
«J’espère qu’on arrivera à se soutenir et à voir aussi le bon côté des choses», confirme hende la phase post-partum.
Aurore Gallarino, spécialiste de communication digitale.
Pour Justine, à Lille, ce « retour à la maison » est la « principale angoisse », sans visites amica-
Le Pr Jacky Nizard, obstétricien de la Salpêtrière à Paris et président de l’association des les et familiales. « Je ne pensais pas dire ça un jour, mais elles vont cruellement me manquer
gynécologue-obstétriciens européens, appréhende la phase post-partum (AFP/Archives - dans ces moments », ajoute-t-elle en évoquant sa mère et sa belle-mère.
LOIC VENANCE)
Pour le moment, elles ont du mal à voir la vie en rose. « C’est mon 3e enfant, mais j’ai peur Rubrique Santé
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Bulletin d’information n° 77 de l’ - Avril 2020 Bulletin d’information n° 77 de l’ - Avril 2020