Page 63 - avril2020
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 Santé                                           T O U S






            d’accoucher sans le père » confie Laure, 39 ans, à trois jours du D-Day. « Pour les deux autres
 TOUS  Source : Sciences et avenir et AFP  je me sentais plus sereine, plus combative. Là, je me sens seule et beaucoup moins prépa-
 Le 23/03/2020  rée ».

 ACCOUCHER : LA PEUR DE LA SOLITUDE,   Les cours de préparation à l’accouchement, de yoga, de piscine, ont été annulés. Les visi-
 LE BLUES DE L’ABANDON  tes de contrôle, sauf complications, s’effectuent par téléphone.

            «On essaie d’assurer un suivi par Skype pour rassurer, mais je ne fais plus que de la télécon-
 « Mon dernier contrôle a été annulé». «Je vais accoucher sans mon conjoint ». «J’ai peur    sultation», confirme Adrien Gantois, président du collège des sages-femmes libérales. Si la
 du retour à la maison»...   situation l’exige, la patiente passe par une salle d’attente séparée dans son cabinet, près
 62  Au  terme  de  leur  grossesse  en  pleine  épidémie  de  coronavirus,  les  femmes  redoutent     de Paris.  63
 l’événement tant attendu malgré les efforts des professionnels pour les rassurer.
            Lui aussi déplore le manque de matériel: «Pour les visites postnatales à domicile, il nous
 Adrienne, Émilie, Justine, Aurélie... Elles avaient projeté un scénario idéal, le père à leur côté   faudrait lunettes, sur-blouses, sur-chaussures... on n’a rien de tout ça.»
 les vaporisant, la famille autour du berceau, leur mère ou les amies en soutien lors du retour
 à la maison. Rien de tout cela n’adviendra.  Les femmes se sentent souvent «abandonnées», faute de réponses: «Aurai-je une péridurale
            s’ils manquent d’anesthésistes?», s’inquiète Marine, à Bordeaux.
 Pour tenter de leur répondre, le Pr Jacky Nizard, obstétricien de la Salpêtrière à Paris et
 président de l’association des gynécologue-obstétriciens européens, réalise sur YouTube
 de petites vidéos à leur intention.     Révoltée


 Tournées  dans  la  cour  de  l’hôpital  sur  un  ton  délibérément  badin,  elles  devancent  les    «Mon  RDV  anesthésiste  s’est  déroulé  par
 questions: «Pour les consultations, zéro accompagnant: le père reste dehors»; « pour l’ac-  téléphone, je crains que mon RDV du 9e mois
 couchement, pour l’instant un accompagnant - ça pourra changer - et s’il sort, il ne revient   le soit aussi», avoue Aurélie, à Versailles.
 plus ». « Après? personne: on sait, c’est compliqué ».  « Je ne sais pas si je dois me tourner vers mon
            gynéco (débordé) ou attendre », dit-elle, après
 « On a deux enjeux de santé publique », explique-t-il à l’AFP: « Stopper la circulation du virus   un début de grossesse compliqué.
 et que les soignants ne tombent pas malades... Les consignes évoluent.
 Pour le moment la plupart des maternités acceptent un accompagnant en salle de travail,   Sa  double  angoisse:  «Passer  à  côté  d’un
 mais il n’y a pas de règle générale ». Certaines les ont déjà bannis.  problème pour le bébé et ne pas pouvoir vivre
            ce moment avec mon conjoint».
 Beaucoup  dépend  du  stock  de  masques,  de  blouses  pour  le  personnel,  la  patiente,  le
 conjoint. En maternité aussi, «il faut gérer la pénurie».  Adrienne, 34 ans, ressent même de la «révolte»
            à  cette  idée.  «  On  est  confinés  ensemble!  »,
            avance-t-elle.                                        Au terme de leur grossesse en pleine épidémie de coronavirus,
    Une page Facebook                                                         les femmes redoutent l’événement tant attendu
                                                                            malgré les efforts des professionnels pour les rassurer
 En cas de complication pour la mère ou l’enfant, les anesthésistes seront eux «bien sûr» pré-  « Confinée depuis trois semaines » à l’hôpital   AFP/Archives - LOIC VENANCE
 sents - malgré les réquisitions pour les services des urgences et de réanimation.  Trousseau  à  Paris  pour  retarder  la  naissance
            d’un  grand  prématuré,  Émilie  est  déjà  seule.  «Peu  à  peu  les  restrictions  se  sont  intensi-
 Pour aider ses patientes, le Pr Nizard renvoie à la page Facebook de l’une d’elles - «confi-  fiées», raconte-t-elle. «Pour certaines femmes qui accouchent d’urgence par césarienne,
 nées avec bébé» - sur laquelle futures et jeunes accouchées échangent conseils et états   les pères ne voient ni les mères ni les bébés: les sages-femmes leur montrent des photos».
 d’âme: créée jeudi dernier, la page rassemblait lundi 365 femmes.
            «On ne peut pas autoriser les va-et-vient avec l’extérieur», justifie le Pr Nizard, qui appré-
 «J’espère qu’on arrivera à se soutenir et à voir aussi le bon côté des choses», confirme   hende la phase post-partum.
 Aurore Gallarino, spécialiste de communication digitale.
            Pour Justine, à Lille, ce « retour à la maison » est la « principale angoisse », sans visites amica-
 Le Pr Jacky Nizard, obstétricien de la Salpêtrière à Paris et président de l’association des   les et familiales. « Je ne pensais pas dire ça un jour, mais elles vont cruellement me manquer
 gynécologue-obstétriciens européens, appréhende la phase post-partum (AFP/Archives -   dans ces moments », ajoute-t-elle en évoquant sa mère et sa belle-mère.
 LOIC VENANCE)


 Pour le moment, elles ont du mal à voir la vie en rose. « C’est mon 3e enfant, mais j’ai peur                         Rubrique Santé




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 Bulletin d’information n° 77 de l’                - Avril 2020      Bulletin d’information n° 77 de l’                - Avril 2020
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