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Juridique T O U S
que le salarié a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un dan- tions particulières comme celles des soignants dans des services d’urgence et de maladies
ger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. infectieuses», explique Camille-Frédéric Pradel.
Cela implique que le danger soit exceptionnel, inhabituel et susceptible d’entraîner des «Il va falloir faire confiance à notre médecine face à un risque de ce niveau, y compris pour
blessures graves. Le droit de retrait ne peut s’exercer sans utiliser, au préalable ou simultané- apprécier la pertinence du droit de retrait. Si le droit de retrait impliquait le risque zéro, alors
ment, la procédure d’alerte, qui consiste, pour le salarié, à signaler à l’employeur (directe- il ne serait pas adapté à la vie économique et sociale. Juristes et magistrats vont devoir
ment ou par l’intermédiaire d’un représentant du personnel) l’existence d’un danger grave accepter l’expertise de la médecine».
et imminent.
Le juge tiendra compte des mesures prises par l’employeur dans le cadre de son obligation
Ce droit peut-il s’exercer au cours d’une pandémie grippale ? La question s’est déjà posée de sécurité et les recommandations qui leurs sont dispensées par le gouvernement.
en 2007, avec la grippe aviaire, et en 2009 avec la grippe H1N1 (ou grippe A).
44 Si les juges n’ont, pour l’heure, pas eu à trancher ce type de conflit, des circulaires existent, Ainsi, le questions-réponses du ministère du travail diffusé il y a quelques jours précise 45
qui posent un certain nombre de règles. notamment que «dès lors que sont mises en œuvre, tant par l’employeur que par les salariés,
les recommandations du gouvernement, la seule circonstance que le salarié soit affecté
à l’accueil du public et pour des contacts prolongés et proches ne suffit pas, sous réserve
Un droit individuel dont la légitimité est appréciée par le juge de l’appréciation souveraine des tribunaux, à considérer qu’il justifie d’un motif raisonnable
pour exercer son droit de retrait».
«Le droit de retrait est un droit individuel. Afin d’apprécier la pertinence du recours au
droit de retrait, il convient d’examiner la situation individuelle du salarié, explique Camille- «A contrario, si l’entreprise n’a pas pris les précautions nécessaires, le droit de retrait pourrait
Frédéric Pradel, avocat au sein du cabinet Pradel Avocats, spécialisé en protection sociale valablement être invoqué par le salarié», complète l’avocat.
et santé au travail. En cas de contentieux, le juge applique le principe d’individualisation à
la situation personnelle du salarié (son état de santé notamment) et au poste de travail. Dans tous les cas, le juge aura le dernier mot. «L’appréciation des éléments de cause
pouvant faire penser que le maintien dans le poste de travail présente un danger grave
L’exercice du droit de retrait, dans un contexte de pandémie grippale, devrait en principe et imminent relève des tribunaux judiciaires qui vérifient le caractère raisonnable du motif
être rare. «La circulaire ministérielle du 3 juillet 2009 [relative à l’épidémie de grippe A] qu’a le travailleur, à un moment donné, de croire en l’existence d’un danger grave et im-
précise que le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation minent», précise ainsi la circulaire de 2009.
générale de pandémie grippale», souligne l’avocat. Une circulaire antérieure, datée du
18 décembre 2007 et relative à la grippe aviaire, distinguait quatre types de poste afin En plus des mesures d’hygiène, l’employeur
d’apprécier le risque auquel sont exposés les salariés : doit bien veiller à actualiser son document
unique d’évaluation des risques, insiste
- les salariés qui travaillent à distance, qui ne sont pas exposés à des contacts humains Camille-Frédéric Pradel. «Il doit également
variés et nombreux du fait de leur activité professionnelle ; informer le CSE et instaurer un dialogue avec
les représentants du personnel».
- les salariés présents sur leur lieu de travail habituel, exposés au risque environnemental
général, notamment du fait du contact avec leurs collègues dans l’entreprise, sans En cas de désaccord, «le code du travail or-
que le risque soit aggravé par une organisation particulière du travail ; ganise une résolution très rapide du problè-
me, constate l’avocat.
- les salariés exposés régulièrement à des contacts étroits avec le public du fait de leur
profession, avec un risque de transmission plus élevé parce que l’activité profession- Le médecin du travail ou l’inspecteur du
nelle implique une surexposition, sur le lieu de travail ; travail peuvent être sollicités afin de valider
les dispositiions prises par l’employeur.
- les salariés directement exposés à un risque, encore aggravé, de transmission du virus
grippal en raison même de la nature de leur activité professionnelle habituelle. Cette En cas de contestation, «pourquoi ne pas © Stock.adobe.com
situation vise notamment le personnel soignant des pathologies contagieuses, explique recourir à un médecin-expert agréé auprès
Camille-Frédéric Pradel. «Pour ces derniers, une réglementation spécifique existe, liée de la cour d’appel ? ».
au risque biologique». Une façon en somme d’anticiper le risque contentieux.
Rubrique Juridique
Le risque pandémique n’est pas en soi lié au travail
«Le risque anormal justifiant le droit de retrait doit résulter d’une activité qui n’est pas exer-
cée dans les conditions habituelles de travail. Dans le contexte actuel, le risque épidémi-
que est généralisé ; il ne s’agit pas d’une situation propre au travail, sauf pour des situa-
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Bulletin d’information n° 77 de l’ - Avril 2020 Bulletin d’information n° 77 de l’ - Avril 2020